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Sommaire

INTRODUCTION
A. DES RELATIONS DE NATURES DIFFÉRENTES
B. DES DEGRÉS VARIABLES DE LIBERTÉS DE CONSCIENCE ET RELIGIEUSE
I. POUVOIR ET RELIGION : DES LIENS HISTORIQUES TRADITIONNELS (AXE 1)
A. LE PAPE ET L’EMPEREUR, DEUX FIGURES DE POUVOIR : LE COURONNEMENT DE CHARLEMAGNE (800)
1. Que s’est-il passé le 25 décembre 800 ?
2. Pourquoi ce couronnement ?
3. Pourquoi à ce moment ?
B. POUVOIR POLITIQUE ET MAGISTÈRE RELIGIEUX : LE CALIFE ET L’EMPEREUR BYZANTIN AU IXE-XE SIÈCLE, APPROCHE COMPARÉE
1. L’empereur byzantin aux IXe et Xe siècles
2. Le calife aux IXe et Xe siècles

II. ÉTATS ET RELIGIONS : UNE INÉGALE SÉCULARISATION (AXE 2)
A. LA LAÏCITÉ EN TURQUIE : L’ABOLITION DU CALIFAT EN 1924 PAR MUSTAPHA KEMAL
1. Les mesures de Mustafa Kemal
2. Les motivations de Mustafa Kemal : comprendre le « kémalisme »
3. Que reste-t-il de la laïcité kémaliste dans la Turquie actuelle ?
B. ÉTATS ET RELIGIONS DANS LA POLITIQUE INTÉRIEURE DES ÉTATS-UNIS DEPUIS LA SECONDE GUERRE MONDIALE
1. Un héritage : laïcité et religion civile
2. Religion, État(s) et société depuis 1945

III. ÉTAT ET RELIGIONS EN INDE (OBJET DE TRAVAIL CONCLUSIF)
A. ÉTAT ET RELIGIONS : « SÉCULARISME » ET DIMENSION POLITIQUE DE LA RELIGION
1. L’hindouisme, majoritaire et omniprésent
2. Le sécularisme indien, un modèle de laïcité
3. Un modèle en danger : la politisation du religieux
B. DES ENJEUX GÉOPOLITIQUES : L’INDE ET LE PAKISTAN
1. Entre Inde et Pakistan : indépendances et guerres (1947-1971)
2. Le conflit change de visage à partir des années 1980
3. Un conflit qui n’en finit pas

1spe 5

Manuel p.352-431

Introduction

États et religions ont en commun de vouloir diriger la vie des hommes. Dans l’histoire des sociétés humaines, un équilibre s’est parfois établi entre États et religions, mais il est aussi arrivé que l’un parvienne à soumettre l’autre à sa volonté.

À l’époque contemporaine, la sécularisation des sociétés et le développement de la laïcité tendent à les séparer, sans jamais néanmoins y parvenir totalement. Ce thème a pour objectif d’analyser les faits religieux dans leurs rapports avec le pouvoir.

A. Des relations de natures différentes

Manuel p.354.355- Les relations entre États et religions présentent une grande diversité à l’échelle mondiale : pendant que certains États observent une stricte séparation et appliquent le principe de laïcité -Vocabulaire p.354, d’autres ont une religion officielle, d’autres encore sont des théocraties-Vocabulaire p.354

B. Des degrés variables de libertés de conscience et religieuse

Manuel p.356.357- De même, on observe des degrés variables de libertés de conscience et religieuse -Repère p.357 : le respect de la liberté de croire ou de ne pas croire, de changer de religion, de pratiquer sa religion sont très inégaux dans le monde -doc.3 Les limites de la liberté religieuse + Vocabulaire p.356.

Les deux axes visent à faire comprendre :

  • qu’il existe des interactions anciennes entre le religieux et le politique ;
  • que la sécularisation est un mouvement localisé d’intensité variable et que la religion demeure un enjeu géopolitique.

I. Pouvoir et religion : des liens historiques traditionnels (Axe 1)

A.    Le pape et l’empereur, deux figures de pouvoir : le couronnement de Charlemagne (800)

Trois cents ans après la chute de l'Empire romain, profitant de l'affaiblissement de Byzance et du contexte particulier dans lequel se trouve la papauté, Charlemagne unifie, sous son pouvoir, l'Occident chrétien. Ce couronnement a donné lieu, depuis douze siècles, à une infinité de commentaires et d'interprétations, pour savoir si l'initiative du couronnement venait du pape ou du roi, et pour déterminer lequel avait prééminence sur l'autre.

Comment interpréter le déroulement de cette cérémonie et l'appropriation du titre d’« empereur » par Charlemagne ?

1.     Que s’est-il passé le 25 décembre 800 ?

Le 25 décembre 800, c'est vers la basilique Saint-Pierre qu’affluent les fidèles, et non vers celle de Saint-Jean-de-Latran (la cathédrale de l’évêque de Rome -du pape) où, suivant les conventions de la liturgie romaine, aurait dû être prononcée la messe pontificale. La basilique que l'empereur Constantin (306-337) a fait construire à l'emplacement présumé de la tombe de l'apôtre martyr est imposante : forte de cinq nefs charpentées, elle se déploie environ cent trente mètres. Elle est ce jour-là remplie d'ecclésiastiques du plus haut rang et de la fine fleur de l'aristocratie romaine et italienne bien sûr, mais aussi un nombre impressionnant de Francs arrivés un mois plus tôt de leur lointaine patrie, conduits par Charles, leur roi[1].

Le déroulement de cette cérémonie est bien connu, grâce à plusieurs sources contemporaines[2]. Le roi des Francs, après avoir fait son entrée dans l'église et avant que la messe commence, s'avance jusqu'à la crypte qui, sous l'abside, abrite le monument funéraire de l'apôtre Pierre, il s'y incline et prie. C'est après s'être relevé et avoir regagné le chœur de l'église[3] qu’au vu de tous il reçoit des mains du pape Léon III la « couronne très précieuse » dont parle le Liber pontificalis[4]. Il est alors acclamé par la foule au cri trois fois répété de « A Charles, Auguste, couronné par Dieu grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ». Puis sont rituellement chantées les laudes des saints en l'honneur de sa personne et du peuple franc. Enfin, il est « adoré » par le pape qui s'agenouille devant lui.

2.     Pourquoi ce couronnement ?

Cinquante ans après le renversement du dernier roi des Francs Mérovingien par Pépin le Bref, le couronnement impérial de son fils Charlemagne ressemble à un nouveau coup d'État. En fait, l'idée d'une restauration impériale en Occident a cheminé dans l'entourage du roi franc en même temps qu'à la cour de Rome.

Alcuin, un ecclésiastique devenu dans les années 780 le conseiller le plus écouté de Charles, se met à évoquer à partir de 798 l’« Empire chrétien » sur lequel celui-ci exerce son pouvoir. La propagande carolingienne présente la fonction royale comme une mission divine fondant le roi des Francs à intervenir dans tout ce qui touche aux rapports entre Dieu et les hommes. « La dignité royale, que vous a octroyée notre Seigneur Jésus-Christ, vous désigne comme recteur du peuple chrétien, supérieur aux deux dignités précédentes - la papauté et l'empire d'Orient », lui écrit en 799 son principal conseiller, Alcuin, qui le compare à Constantin, l'homme qui a fait de l'Empire romain un empire chrétien au début du IVe siècle.

Il est vrai que Charlemagne, excellent stratège, doté d'un sens politique aigu, a considérablement étendu les limites du royaume de son père Pépin le Bref (mort en 768), qui s’étendait déjà sur l'ensemble de la Gaule et de la Germanie centrale et méridionale. Il lui a ajouté, par la conquête, la Germanie septentrionale, arrachée aux Saxons, en voie de christianisation forcée, et surtout les deux tiers de l'Italie, gagnés sur les Lombards. « Roi des Francs et des Lombards », il gouverne l'Europe de l'Elbe aux Pyrénées et des côtes atlantiques à l'Italie centrale (cf. carte).

De plus, il a hérité de son père le titre de « patrice des Romains », c'est-à-dire de protecteur privilégié de la ville de Rome, de ses habitants, et de leur chef spirituel et temporel, le pape. Un pouvoir de protection qui ressemble beaucoup à une tutelle. Ricbod, auteur des Annales de Lorsch, écrit que Charles « tenait Rome elle-même, où les Césars avaient coutume de résider ». Pour lui, le roi des Francs se trouve de facto, en tant que maître de Rome, l'héritier des anciens empereurs.

Pour autant, il n'a pas choisi Rome pour capitale : Charles a créé à partir de 794 à Aix-la-Chapelle une capitale nouvelle, et un palais dont le programme architectural est chargé de significations. Le palais d’Aix-la-Chapelle a une fonction à la fois politique et religieuse :

  • Le pôle civil, au nord, est occupé par une aula, c'est-à-dire une salle de réception inspirée de la tradition antique ;
  • le pôle religieux, au sud, consiste en une vaste chapelle, octogone imité de l'église Saint-Vital de Ravenne élevée au VIe siècle par l'empereur Justinien dans sa capitale italienne, précédée d'un atrium, vaste cour fermée inspirée de celle de Saint-Pierre de Rome.
  • Entre les deux pôles, un long portique de cent vingt mètres articulé de part et d'autre, comme au palais de Byzance, d'une salle de justice.

Ravenne, Rome, Byzance : ces références ne sont pas innocentes : le pouvoir de Charles s’affiche comme l'équivalent de celui des anciens empereurs romains et de l'actuel empereur byzantin.

À Rome, on n'en pense pas moins. En 798, Léon III, le pape qui a succédé trois ans plus tôt à Hadrien, fait orner l'abside du triclinium, la grande salle de réception de son palais du Latran, d'un décor de mosaïques lui aussi tout à fait programmatique. De part et d'autre d'une scène principale représentant le Christ donnant à ses apôtres l'ordre d'aller évangéliser le monde figurent deux séquences particulières :

  • D'un côté, le Christ remet à l'empereur Constantin[5], et au pape Sylvestre, son contemporain, agenouillés à ses pieds, l'étendard et les clés, symboles du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel.
  • De l'autre côté, dans une symétrie parfaite, saint Pierre confie à Léon III le pallium, étole porteuse de l'autorité apostolique, et à Charlemagne l'étendard. Ainsi Charles apparaît déjà avant son couronnement comme un nouveau Constantin, empereur chrétien par excellence, investi de son autorité temporelle par saint Pierre lui-même. Le message est clair : si une restauration impériale est envisagée, elle doit être conduite par l'Église de Rome.

3.     Pourquoi à ce moment ?

Les circonstances vont faciliter les choses :

  • Il n'y a plus d'empereur en Occident depuis le 4 septembre 476[6], et l’empire d'Orient est le seul dépositaire de la légitimité impériale et de l'idéologie politique du grand Empire romain. Mais depuis la mort de l'empereur byzantin Léon IV en 780, c'est sa veuve Irène qui exerce la régence au nom de leur jeune fils Constantin VI. Or, en 797, elle fait crever les yeux de Constantin, le destitue, et prend sa place en se donnant le titre, inouï pour une femme, de basileus. Pour la première fois depuis les origines de l'Empire romain, il n'y a plus, ni en Occident, ni en Orient, d'empereur digne de ce nom. D'une certaine manière, l'Empire est à prendre[7]. C'est pourquoi, aucun rituel d'accession à l'Empire n'ayant été conservé à l'Ouest, il a bien fallu, le 25 décembre 800, imiter le protocole byzantin. Ainsi, l’« adoration » de Charles par l'évêque de Rome est l’imitation de la proskynèse, c'est-à-dire la prosternation, genoux et tête au sol, du patriarche de Constantinople devant tout nouvel empereur d'Orient.
  • Surtout, à Rome même, la dignité pontificale semblait dégradée quand une révolution de palais en avril 799 a failli renverser Léon III. Le 25 avril 799, Léon III subit un véritable attentat : au cours d’une procession, il est jeté à bas de sa mule, et molesté, puis emprisonné ; le bruit court que ses assaillants lui ont coupé la langue et crevé les yeux, ce qui se révèlera inexact. Quelques jours plus tard, il est délivré grâce à quelques fidèles de Charles, et peut rejoindre en juillet le roi franc, à Paderborn, où il séjourne un mois. Le roi le fait ensuite reconduire à Rome sous escorte. On ignore la teneur de leurs échanges, mais on peut supposer que la promotion de Charles à l'Empire a été évoquée à Paderborn dès l'été 799.

À l'automne 800, Charles prend la route de l'Italie avec son fils aîné et une importante escorte de laïcs et d'ecclésiastiques. Le 23 novembre, il est accueilli par le pape à douze milles de la Ville -suivant le rituel prévu pour les entrées solennelles impériales. Le jour de Noël, se déroule une cérémonie inspirée du rituel byzantin, mais dans laquelle le pape, profondément humilié quelques mois auparavant, pose la couronne sur la tête du nouvel empereur, signifiant ainsi au monde sa propre puissance, reçue du Christ et de saint Pierre. Une manière de signifier que c'est lui, le pape, qui fait l'empereur.

Conclusion

L’Empire de Charlemagne ne survit pas longtemps à sa mort en 814, date à laquelle son fils Louis le Pieux lui succède. Les héritiers de la dynastie carolingienne détruisent, par leurs querelles de succession, l'unité de l'Empire. Mais cette séquence où on voir s’opérer une alliance entre l’Empire et l’Église, et la manière, non exempte de rapports de force dont elle s’opère, nous permet éclaire sur les relations complexes que l’Empire et la papauté vont entretenir pendant des siècles.

En effet, quand en 962 Otton Ier, roi de Germanie, redonne naissance à un Empire tombé en désuétude depuis 924, ce « saint Empire romain germanique », pâle reflet de l’Empire carolingien, multiplie les interventions dans les affaires religieuses et la désignation des papes :

  • Otton Ier fait remplacer deux papes coup sur coup en 964 : Jean XII, puis Benoît V.
  • Son petit-fils Otton III, en 999, fait pape son ancien précepteur le nouveau pape (Sylvestre II).

Face aux prétentions de l’Empire, la papauté défend farouchement ses intérêts :

  • Le pape Nicolas II (1058-1061) tente d’en finir avec ces interventions du pouvoir impérial dans le fonctionnement de l’Église, en décidant en 1059 que le pape serait désormais élu par les seuls cardinaux -Vocabulaire p.362.
  • Grégoire VII soutient que le pouvoir spirituel ne doit pas seulement être indépendant, mais supérieur au pouvoir temporel. Il est le créateur de la curie, véritable gouvernement de l’Église et l’instigateur de la réforme grégorienne -Vocabulaire p.363, vaste entreprise de réforme du fonctionnement et des mœurs du clergé -Vocabulaire p.362. En 1075, il retire aux rois et à l’empereur le pouvoir de nomination des évêques, et réserve l’élection du pape aux seuls cardinaux -Vocabulaire p.362. Cette décision provoque la querelle des Investitures -Vocabulaire p.363 avec l’empereur germanique Henri IV, qui débouche sur l’excommunication -Vocabulaire p.362 de l’empereur et ne prend fin qu’en 1122 avec la conclusion du concordat -Vocabulaire p.362 de Worms -Dossier p. 364-365. Un conflit entre le pape et l’empereur…

B.    Pouvoir politique et magistère religieux : le calife et l’empereur byzantin au IXe-Xe siècle, approche comparée

Cette période marque à la fois l’apogée de la puissance byzantine caractérisée par l’affermissement du pouvoir impérial et celle de la puissance arabo-musulmane incarnée par les califes abbassides de Bagdad.

1.     L’empereur byzantin aux IXe et Xe siècles

L’Empire romain d’Orient survit à la chute de Rome (476) jusqu’au XVe siècle -Repère p.369 : une ville, trois noms. Pendant cette période, l’Orient méditerranéen demeure donc unifié au sein de l’Empire byzantin, à la différence de l’Occident qui connaît un processus de fragmentation politique. Il en résulte que, contrairement à ce qui se passe en Occident, ce n’est pas la religion chrétienne qui joue un rôle fédérateur (au contraire les chrétiens d’Orient sont divisés par de nombreux schismes successifs, et nombre d’entre eux ne reconnaissent pas l’autorité spirituelle du patriarche -Vocabulaire p.368) : toutes les populations de l’Empire byzantin sont en revanche soumises à l’autorité du basileus.

Comment les empereurs byzantins parviennent-ils à imposer leur autorité au clergé ?

Les IXe et Xe siècles voient une résurgence de l’expansion de l’Empire byzantin en Orient[8]. Après avoir failli disparaître victime des invasions arabes, l’empire réussit à se doter de nouvelles structures de pouvoir tandis que l’orthodoxie surmonte la crise iconoclaste et connaît une période de renouveau -dates clés + vocabulaire p.368. La longévité de l’Empire repose avant tout sur un consensus idéologique initié dès la création de l’empire par Constantin et consolidé par ses successeurs.

L’Empire byzantin se veut toujours l’héritier de l’empire romain, du reste :

  • les Byzantins ne se nomment jamais ainsi et appellent encore leur capitale la nouvelle Rome,
  • l’empire reste l’Empire des Romains et son souverain l’empereur des Romains[9].

Toutefois, une conception originale du pouvoir se fait jour. En dépit d’un passage progressif à l’hérédité au IXe siècle[10], l’empereur reste un magistrat formellement choisi par l’armée et acclamé par le peuple. L’adoption du christianisme interdit la déification de l’empereur mais pas le développement d’une vision théologique : la cité terrestre est l’image du royaume de Dieu et le Basileus tient sur la terre la place que ce dernier occupe dans le ciel. Nommé par la volonté divine à la tête de la cité terrestre (Église comprise), il règne pour appliquer la volonté de Dieu. À Sainte Sophie, il siège au centre de la basilique, à la verticale de la coupole où figure le Christ pantocrator[11]. Les cérémonies de couronnement par le Patriarche ne sont donc que la reconnaissance du choix de Dieu -doc.3 p.375. Le patriarche couronne Michel Ier (811). Attention toutefois : ce que Dieu a fait, il peut le défaire : que le règne de l’Empereur soit marqué par des calamités naturelles ou par une défaite militaire, c’est le signe qu’il a perdu sa légitimité aux yeux de Dieu[12]. De même, si un usurpateur réussit, c’est le signe qu’il est voulu par Dieu[13].

L’empereur est le chef de la chrétienté. Depuis Constantin (IVe siècle), c’est lui qui convoque, préside (en personne ou non) le concile -Vocabulaire p.362 et en ratifie les décrets. Dans cet empire, le religieux n’est qu’une composante du politique, les évêques sont les fonctionnaires d’une religion d’État, et on prie dans les églises pour les victoires de l’empereur. Le contrôle du basileus -Vocabulaire p.368 sur l’Église s’exerce au plus haut niveau car il choisit le patriarche, et peut le révoquer en cas de conflit[14]. C’est cette prééminence du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel que désigne la notion de césaropapisme -Césaropapisme ou théocratie ? Notions p.369 + doc.1 p.374. Le basileus et le patriarche.

L’ordre du monde voulu par Dieu qui place l’empereur à la tête des nations est immuable, et tous les souverains lui sont subordonnés. Tous les pays entrés dans l’Église ou jadis romains restent possession de l’Empire : toute autre puissance chrétienne est donc considérée comme sujette. Certains princes sont qualifiés de « fils » (Bulgarie, Arménie), d’autres de « frères » tels les empereurs occidentaux[15].

Les empereurs résident au Grand Palais, à quelques pas de Sainte Sophie. La vie de la Cour qui s’y déroule est conçue comme un théâtre de caractère religieux, un somptueux mystère, qui se joue en costumes[16], selon un cérémonial complexe, partiellement influencé par celui de la Perse. Le cérémonial occupe à Byzance une place centrale : il permet de glorifier l’empereur et de rappeler la place de chacun. Décrit dans le Livre des cérémonies de l’empereur Constantin VII Porphyrogénète[17] (913-959), dans les traités sur les « dignités » ainsi que dans des récits d’ambassadeurs, il est un reflet fidèle de l’idéologie politique des Byzantins. Par exemple :

  • Les principales réceptions à caractère politique se tiennent dans la salle à manger d’or, une salle octogonale garnie de mosaïques et surmontée d’une coupole, où l’empereur siège sur son trône dans une abside, surmonté par une mosaïque du Christ assis lui aussi sur un trône. Être invité à l’une des douze places de la table impériale constituait l’honneur suprême.
  • La plupart des ambassadeurs étrangers sont reçus dans la salle d’audience de la Magnaure, une basilique à trois nefs et équipée d’une mécanique destinée à impressionner le visiteur. Là, doivent accomplir trois fois le rituel de la proskynèse en s’allongeant sur le sol de tout leur long. Lorsqu’il lève la tête, l’empereur, aux habits changés, a été hissé sur son trône élevé jusqu’au niveau du plafond. Il ne peut dès lors converser avec lui que par l’intermédiaire du logothète[18] du drome, le fonctionnaire chargé des Affaires étrangères.
  • Le cérémonial s’accompagne d’un système codifié formé par une double hiérarchie : une hiérarchie des fonctions et une hiérarchie des dignités, connues par des traités spécialisés, les taktika, du grec taxis, ordre, disposition (chacun a sa place désignée par l’empereur). Quand on s’élève dans la hiérarchie des fonctions, on fait de même dans celle des dignités, qui donnent droit à un salaire[19] (NB : si l’on cesse d’exercer une fonction, on conserve la dignité qui lui est attachée.)

2.     Le calife aux IXe et Xe siècles

En 750, la dynastie omeyyade (fondée en 661) est renversée par l’émir Abu al-’Abbas al-Saffah qui prend le titre de calife -Vocabulaire p.372 et fonde la dynastie abbasside. Il établit sa capitale à Bagdad. Repliés en Espagne, les Omeyyades continuent à revendiquer le califat, tout comme la dynastie chiite -Sunnites et chiites. Repère p.373 des fatimides installée en Afrique du Nord (Tunisie, puis Égypte). L’empire, qui s’est étendu bien au-delà du seul monde arabe et musulman[20], est désormais définitivement éclaté en plusieurs entités politiques rivales[21].

Comment les califes musulmans, dont l’autorité est autant spirituelle que temporelle,
 règnent-ils sur des empires multiconfessionnels ?

Dans l’imaginaire occidental, cette période se résume en deux symboles : les Mille et une nuits et le calife Haroun al Rachid (775-813), siégeant au milieu d’une Cour somptueuse. La dynastie abbasside compte d’autres califes passés à la postérité, comme son prédécesseur al Mansûr (754-775), fondateur de Bagdad ou son successeur al Ma’mûn (813-833), protecteur des arts et des sciences. Cette triade ne doit pas faire oublier une série de souverains à poigne luttant contre les forces de dissolution de l’empire comme al Muttawakkil (822-861) -et de nombreux autres moins marquants. Tous s’efforcent toutefois de faire prévaloir leurs prérogatives de chefs exclusifs de la communauté musulmane.

Les conditions requises pour assumer la charge de calife, les modalités de sa transmission sont définies depuis le premier siècle de l’Islam. L'avènement du calife suit des étapes bien définies et la bay 'a', serment d'allégeance et d'obéissance, en est un des temps forts, car le détenteur du pouvoir califien devait recevoir agrément de la communauté musulmane ou du moins ses membres les plus représentatifs. Ce libre choix se manifestait lors d’une prestation de serment d’allégeance (bay’ a’) des membres de la communauté. Il n’y a donc aucune justification théorique ni à l’usage dynastique ni au légitimisme abbasside. N’empêche, les califes choisissent leurs successeurs au sein de leur famille, selon des combinaisons compliquées par la polygamie[22]. L'enterrement du calife défunt, qui a souvent lieu au sein du complexe palatial, est un des moments de cette transition dynastique.

Le calife a cessé d’être un chef de tribu, en tant que commandeur des croyants à la tête de l’oumma -Vocabulaire p.373, il dirige la prière du vendredi et continue à diriger des expéditions guerrières jusqu’au règne d’al Ma’mûn (813-833). Il s’entoure d’une noblesse de fonction d’origine multiethnique, de courtisans ainsi que de soldats esclaves de plus en plus nombreux. Le souverain s’entoure d’une étiquette et d’un cérémonial empruntés à la Cour persane sassanide. Il reçoit ses invités caché derrière un rideau et on doit se prosterner et baiser le sol devant lui. Étaient également liées à la souveraineté et aux pouvoirs régaliens la présence du nom du souverain sur la monnaie -doc.3 p.375. Un dirham d’argent abbasside et dans le prêche du vendredi, ainsi que la maqsûra', espace qui lui était réservé dans la mosquée.

Successeur de Muhammad, le calife est comme lui un chef à la fois temporel et spirituel. L’ensemble des musulmans lui doit obéissance. Sur le plan spirituel, en l’absence de clergé, il est le gardien du dogme qu’il doit préserver de la bid’a -Vocabulaire p.372 : en tant que chef spirituel de la communauté, il porte le manteau du prophète et tient la baguette qui avait été l’insigne du pouvoir de Muhammad. Sur le plan temporel, il est le garant de l’unité de l’oumma qu’il doit préserver de la fitna -Vocabulaire p.372. En tant que chef militaire, il doit protéger et étendre le dar al-islam -Vocabulaire p.372 et peut pour ce faire appeler les musulmans au jihad -Vocabulaire p.372.

La question des relations entre politique et religion a fait couler beaucoup d'encre. Les interrogations ont porté sur le fait de savoir si pouvoirs religieux et politiques étaient distincts et autonomes ou non en Islam. Tout un courant a mis en avant ce qui serait la spécificité radicale de l'Islam de ce point de vue : le manque d'autonomie du pouvoir politique par rapport au pouvoir religieux, voire leur fusion : il y aurait d'un côté un monde moderne, sécularisé, rationnel, occidental pour tout dire, et de l'autre celui de l'Islam, religieux et incapable de modernité, éternellement médiéval. L'apport des médiévistes est ici essentiel : il montre en effet que l'Islam contemporain n'est pas l'Islam médiéval, que la distance entre mondes latin, byzantin ou islamique médiévaux n'est pas si marquée sur ce point, et enfin que les conceptions des relations entre politique et religion sont en Islam médiéval complexes et évolutives. Les juristes et théologiens médiévaux étaient eux-mêmes loin d'être unanimes sur la question des rapports entre pouvoir et religion, d'autant qu’aucune institution semblable à l'Église ne définissait une position en théorie valable pour tous.

Il existe toutefois une vaste littérature composée de Miroirs des princes, de traités de gouvernement et d'ouvrages juridiques, qui s'efforce de définir les devoirs et la conduite des souverains, tout en leur dispensant des conseils ou des règles de bon gouvernement. L'autorité suprême est exercée par le calife qui est appelé, selon les cas, khalifa (successeur), imâm (guide) ou amîr al-mu'minîn (émir des croyants). Le traité d'al-Mâwardî (mort en 1058), intitulé Statuts gouvernementaux, est particulièrement éclairant sur la nature du pouvoir califal tel qu'il était compris dans les milieux sunnites de Bagdad au XIe siècle -doc.2 p.374. Qu’est-ce qu’un calife. Le calife y apparaît non pas comme celui qui définit le dogme et la Loi islamique (une tâche dévolue aux savants en sciences religieuses, les oulémas), mais comme le garant de leur respect et de l'ordre social qui en découlait. Les Miroirs des princes insistent tous sur l'origine du pouvoir du calife qui viendrait de Dieu, ce qui ne fait pas de lui un dieu, mais lui confère une certaine sacralité qui n'a rien de spécifiquement islamique : on la retrouve dans les civilisations de l'Orient ancien, ainsi qu'à Byzance et dans l'Occident chrétien. Le hadith affirmant que « le souverain est l'ombre de Dieu sur terre » est souvent cité dans ces traités, de même que l'aphorisme[23] : « La religion et la souveraineté sont deux sœurs jumelles, dont l'une ne peut se passer de l'autre ».

Les premiers califes abbassides mirent en valeur la fonction de guide que leur conférait cette proximité avec Dieu en adoptant des surnoms de règne qui les présentaient comme des imams guidés par Dieu pour conduire les musulmans au salut : al-Mahdî (le Bien-guidé, 775-785) ; al-Hâdî (le Guide, 785-786) ; al-Rashîd (Celui qui guide dans le droit chemin, 786-809). Cette sacralité se refléta dans le cérémonial mis en place autour des califes (dissimulation derrière un rideau, prosternation) et dans certaines croyances populaires qui attribuaient aux califes des pouvoirs magiques (comme celui de faire tomber la pluie) ou thérapeutiques (le sang royal censé guérir de la folie ou de la rage).

Fonder la souveraineté sur la religion ne signifiait pas cependant fusionner ces deux domaines. Dans le monde sunnite, le pouvoir religieux du souverain était limité par celui des oulémas et il devait lui-même se soumettre à la Loi religieuse[24]. Le terme oulémas signifie littéralement « les savants », c'est-à-dire les détenteurs du savoir, des sciences religieuses en particulier. Par leurs connaissances du Coran et des hadiths, par leur étude et leur pratique du droit, ces savants se constituèrent progressivement en groupe social dont le pouvoir s'affirma à partir du IXe siècle. À partir du IXe siècle en effet, les oulémas ou savants pieux du monde sunnite s’imposèrent comme les seules autorités en matière de loi religieuse, laissant au calife le devoir de veiller à son application[25]. Celui-ci ne peut pas gouverner comme bon lui semble car il doit respecter la sharia -Vocabulaire p.373 sous peine d’être condamné par les oulémas, experts dans l’interprétation du Coran et de la Sunna dont les avis font autorité.

Conclusion

Jalon p.374-375

Conclusion

Révisions p.378-379

II. États et religions : une inégale sécularisation (Axe 2)

Cours p.386-387. Un monde inégalement sécularisé- Cet axe d’étude nous conduit à aborder la question des relations entre États et religions dans le monde contemporain. Au centre de notre réflexion, un état des lieux du processus de laïcisation, c’est-à-dire du recul de la prégnance du référent religieux dans la sphère publique[26]. Attention néanmoins : le monde n’est pas également sécularisé et la religion est un enjeu géopolitique.

Au cœur de cette mutation du rapport des sociétés à la sphère religieuse qui a rendu, on trouve l’émergence de la notion de laïcité[27] -Vocabulaire p.388. Le programme nous invite à l’étudier non pas comme un principe abstrait et monolithique, mais au travers de trois de ses manifestations concrètes (France, Turquie, États-Unis)[28], comme une réalité aux contours mouvants : derrière le même mot de « laïcité », les conceptions varient d’un pays à l’autre -Repères p.389. Trois types de laïcité. La laïcité est le fruit d’une histoire longue, elle emprunte deux voies distinctes :

  • celle de la laïcisation -Repère p.386; elle vient de l’État qui s’émancipe de la religion. La laïcité est instaurée par l’État par des lois civiles.
  • celle de la sécularisation -Repère p.386; elle est progressive et vient des sociétés. C’est un processus d’autonomisation entre sphère politique et religieuse.

Enfin, le programme invite à s’interroger sur le « retour du religieux » -Cours p.398-399 qui semble caractériser certaines régions monde depuis plusieurs décennies, et surtout sur ses conséquences politiques. En l’occurrence, c’est le cas de l’Inde qui servira de support à notre réflexion.

A.    La laïcité en Turquie : l’abolition du califat en 1924 par Mustapha Kemal

Pourquoi la Turquie nouvelle née de la défaite de l’empire ottoman devient-elle un État laïque ? Quelles sont les particularités de la laïcité portée par Mustapha Kemal et comment ce principe est-il perçu dans la société turque jusqu’à aujourd’hui ?

Cours III p.389- Rappel : la Turquie est issue de la défaite de l’Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale. En effet, le traité de Sèvres (août 1920)[29], signé par le sultan -Vocabulaire p.388 Mehmed VI, décide le démembrement et la fin de l’empire.

Or, le mouvement nationaliste de Mustafa Kemal refuse l’humiliation de ce traité. Entre 1920 et 1921 les kémalistes installent leur quartier général en Anatolie à Ankara (l’actuelle capitale de la Turquie) et affrontent victorieusement les troupes étrangères (françaises, italiennes, grecques et arméniennes). Ils obtiennent alors au traité de Lausanne (juillet 1923) des frontières correspondant à peu près à celles de la Turquie actuelle.

1.     Les mesures de Mustafa Kemal

À la suite de la prise de pouvoir par Mustafa Kemal au détriment du sultan, la Turquie s’est brutalement laïcisée. Cette transformation radicale s’est effectuée entre 1922 et 1937 sous le gouvernement de Mustafa Kemal « Atatürk » (« père des Turcs », plus exactement « Turc-père »). Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la mort d'Atatürk, en 1938, ont situé leur action dans le sillage du « kémalisme »[30].

À la suite de la proclamation de la République en 1923, la Constitution adoptée en 1924 abolit le califat -Jalon p.392-393 : l’oumma -Vocabulaire p.388 n’a désormais plus de chef religieux -doc.3 p.393. Une réaction arabe à l’abolition du califat. Elle met la religion sous tutelle de l’État : une éducation laïque et obligatoire est instituée, et une direction des affaires religieuses (Diyanet -Vocabulaire p.388) chargée de l’administration des lieux de culte et du personnel religieux a été créée et rattachée au Premier ministre. Chronologie p.392- Par la suite :

  • En 1925, les confréries religieuses sont dissoutes et la loi du chapeau interdit le port du fez pour les hommes et du voile pour les femmes.
  • En 1926, un code civil inspiré de la Suisse est adopté et remplace la loi religieuse (cheriat).
  • En 1928, l’article de la constitution qui faisant de l’islam la religion d’État -Vocabulaire p.388 est supprimé et l’alphabet latin est adopté à la place de l’alphabet arabe.
  • En 1934, une loi sur le nom de famille exclut les adjectifs à connotation islamique et le droit de vote est accordé aux femmes -doc.4 p.393. Une nouvelle université à Istanbul.
  • En 1937 la laïcité est devenue un principe constitutionnel turc.

2.     Les motivations de Mustafa Kemal : comprendre le « kémalisme »

Doc.2 p.392. Pourquoi abolir le califat ? L’action de Mustafa Kemal repose sur quelques idées-forces, les six « flèches » du Parti républicain du peuple : nationalisme, populisme, réformisme, laïcité, républicanisme et étatisme. Véritable résumé du « kémalisme », ces six flèches visent un seul et même objectif : faire entrer la Turquie dans la « civilisation ». Pour Mustafa Kemal, un pays « civilisé » est d'abord un État laïc.

Attention néanmoins : l’identité musulmane de la Turquie ne disparaît pas pour autant, et l’État assure la domination de l’islam sunnite -Vocabulaire p.388 sur les autres religions. Il s’agit simplement de contrôler par le haut (l’État) la religiosité et le clergé -doc.5 p.393. Un islam sous contrôle : la laïcité kémaliste est une laïcité de coopération Repères p.389. Trois types de laïcité.

3.     Que reste-t-il de la laïcité kémaliste dans la Turquie actuelle ?

À partir des années 1980, une élite islamique exprime des revendications. Le contexte régional (révolution islamique -Vocabulaire p.398 en Iran, développement du wahhabisme saoudien -Salafisme : vocabulaire p.398) contribue au retour du religieux au Proche et Moyen-Orient, et dans la société turque.

C’est par les urnes (et après plusieurs coups d’État militaires et tentatives d’interdiction) que le parti islamiste -Islamisme : vocabulaire p.398 de la justice et de développement (AKP) a réussi à conquérir le pouvoir (2002) et à s’y maintenir : le pouvoir de Recep Tayyip Erdogan[31] est parvenu à s’inscrire dans la durée.

Comme il ne peut remettre en cause frontalement la laïcité héritée de Mustafa Kemal, il procède à un « assouplissement » de la doctrine kémaliste : c’est ainsi que doivent être interprétés le rétablissement de l’appel à la prière en arabe, la réapparition des confréries religieuses, l’autorisation du port du foulard islamique à l’université d’abord (2010), étendue aux élèves et enseignantes des écoles primaires et secondaires, enfin à tous les fonctionnaires (2012). Cependant la Turquie reste un État laïque mais de type non séparatiste. Théoriquement pluraliste, l’État contrôle ouvertement l’islam sunnite et le privilégie aux dépens des minorités religieuses.

On assiste à une rupture dans le discours de R. T. Erdogan après le coup d’État manqué de 2016[32] : fort du soutien populaire renouvelé, R. T. Erdogan a durci sa pratique du pouvoir et s’oppose aux valeurs européennes. Réélu en 2018, il semble désormais vouloir tourner définitivement la page du kémalisme et de la laïcité[33].

B.    États et religions dans la politique intérieure des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale

Cette question soulève un paradoxe : celui d’un pays qui est vu de France comme très religieux, qui a une religion civique (une devise religieuse, dont le président prête serment sur la Bible ou sur un autre livre religieux) et qui est en même temps un pays laïc[34] à la société profondément sécularisée.

Les États-Unis sont nés de colonies établies par des dissidents protestants, et l’Amérique s’est bâtie en tant que Terre promise : les Pères pèlerins s’établissant à Plymouth Rock en 1620 et les Puritains de Boston sont désireux de fonder en 1630 sur cette côte (censément) inexplorée la « Cité sur la colline » biblique, le phare qui éclairera le monde et le rachètera et fera prendre conscience à l’Ancien continent de sa corruption et le conduira à sa régénération, contribuant ainsi à avancer la venue du Messie et le Millénium des « Saints ». Pour les Puritains l’aventure correspond à une nouvelle fuite en Égypte, le voyage est une nouvelle traversée de la mer Rouge et l’arrivée au large du Massachusetts une rencontre avec la Terre promise.

Comment s’établissent les relations entre État (et États) et religion depuis 1945 dans un contexte de lente sécularisation de la société états-unienne ?

1.     Un héritage : laïcité et religion civile

a.       Une laïcité originale

La plupart des pères fondateurs (G. Washington, B. Franklin, T. Jefferson, J. Madison[35]…) sont des chrétiens peu pratiquants proches du déisme de la philosophie des Lumières[36]. Ils pensent que la religion est un facteur de division et qu’il faut donc la tenir éloignée des affaires politiques. La Constitution de 1787, acte de naissance de l’État républicain, ne mentionne ni Dieu ni « Être suprême ».

Le 1er amendement à la Constitution fédérale (adopté en 1791) -Repère p.395 : « le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion ou à l’interdiction de son libre exercice. » Cette clause, appelée clause « d’établissement », interdit toute église officielle financée par l’État fédéral ou toute religion d’État -Vocabulaire p.388.

La doctrine est ensuite précisée par Thomas Jefferson en 1802, qui utilise l’expression de « mur de séparation ». Thomas Jefferson est ouvertement déiste et sans doute agnostique. Pour lui, l’État n’a pas à se mêler des opinions individuelles mais seulement des actions de ses citoyens.

Mais ce « mur » ne signifie pas hostilité -doc.4 p.395. Une laïcité originale, et la forme que prend la laïcité aux États-Unis semble être une laïcité de reconnaissance -Repère p.389, qui ne signifie pas que les Américains sont un peuple non religieux. En effet, de nombreux symboles religieux sont présents dans les institutions. Les pères fondateurs croient en l’existence d’une moralité commune à toutes les religions et surtout en la nécessité de cette moralité, car la nation doit être constituée de citoyens vertueux. Le pluralisme des religions est encouragé par le pouvoir pour éviter qu’une religion s’impose. La formation des citoyens est laissée à la sphère privée donc souvent aux Églises. Les citoyens ont le droit de réclamer la protection constitutionnelle de leurs convictions et pratiques religieuses. La cour suprême veille à ce que la séparation soit respectée.

b.      Une religion civile

Si l’État ne favorise aucune Église, ses valeurs dominantes sont celles du protestantisme. La religion civile est le fruit d’un compromis entre toutes les religions et les non croyants de manière à permettre à tous de communier dans les valeurs républicaines. La religion civile s’incarne dans des idées partagées par tous : le déisme, le messianisme. Porteurs d’un providentialisme -Vocabulaire p.388 prononcé, les Américains sont convaincus d’être le peuple élu de Dieu : ils ont donc le devoir de répandre leur civilisation et leur modèle dans le monde[37].

La religion civile s’incarne :

  • dans des lieux : les cimetières nationaux d’Arlington et de Gettysburg[38], le Lincoln mémorial à Washington[39], le monument du mont Rushmore[40]
  • Elle s’incarne aussi dans des textes : la Déclaration d’Indépendance, la Constitution, le serment au drapeau (Pledge of allegiance)[41].
  • On la retrouve aussi dans des jours de commémoration nationale : Martin Luther King Day, anniversaires de G. Washington, d’A. Lincoln, Memorial Day[42]; Thanksgiving day[43], National Day of Prayer[44]

À travers ses lieux, ses dates clés, ses formules, ses rituels, la religion civile vise à unifier la nation, en l’unissant dans les moments difficiles au travers de mythe des origines, d’histoires édifiantes, de valeurs communes, de rites publics (serment au drapeau, devise nationale, cérémonie de prestation de serment du Président[45]). Ce sont en quelque sorte des « outils », qui ont deux fonctions principales :

  • entretenir le sentiment de l’unité nationale (réactiver rituellement des éléments du passé fondateur), Aucune préférence pour une religion n’est indiquée ni aucune obligation d’adhérer aux propos ;
  • susciter un courant d’adhésion propre à nourrir la ferveur populaire autour d’un homme ou d’un projet. Certains présidents ont entretenu la flamme de la religion civile, manière de dire que le peuple américain forme une communauté spéciale capable de relever tous les défis.

2.     Religion, État(s) et société depuis 1945

Avant 1945, la plupart des présidents se situent dans la lignée de Thomas Jefferson et de son principe de « mur de séparation » entre État et religion. Ils ont eu tendance à se poser en garants de la liberté et de la neutralité en matière religieuse. Peu à peu, on assiste à des évolutions significatives.

a.       Le sentiment religieux mobilisé pendant la Guerre froide

Durant la Guerre froide (1947-1991), la religion est mobilisée dans la lutte contre le communisme athée, en particulier par le président Eisenhower. On peut relier certaines décisions qui accroissent la référence au religieux à ce contexte de Guerre froide, en particulier durant les années 1950 qui sont les années du Maccarthysme et de la « chasse aux sorcières » contre les sympathisants du communisme :

  • 1952 : Un jour national de prière est fixé (déclaré inconstitutionnel dans les écoles publiques en 1962 -doc.2 p.394. Un État condamné pour entorse à la laïcité)
  • 1954 : ajout d’une référence à Dieu dans le Serment d’allégeance prononcé chaque jour par les élèves des écoles
  • 1956 La devise « In God We trust » -doc.1 p.394. La religion civile remplace « E pluribus Unum » (unis dans la diversité), qui figurait sur les monnaies depuis 1863.

b.      Une mosaïque religieuse, des Églises puissantes, mais une sécularisation accélérée de la société

L’expression « mosaïque religieuse » reflète l’extraordinaire diversité religieuse du pays : 230 confessions différentes, 15 groupes comprenant chacun de nombreuses dénominations[46]. Cette mosaïque est le résultat du processus de peuplement des États-Unis : 850 000 « migrants » au XVIIIe siècle (dont un tiers d’esclaves africains), puis trois vagues d’immigration de masse[47] de provenances diverses, ont nourri le pluralisme religieux.

Les Églises, toutes confessions confondues, sont de riches organisations de masse, financées par leurs fidèles et bénéficiant d’exemptions fiscales. Elles possèdent un réseau éducatif et s’appuient sur de puissants médias pour peser dans le débat public. Constituées en groupes de pression (lobbies), elles pèsent sur le vote et obligent les candidats à prendre en compte leurs revendications. Ainsi, le Parti démocrate s’engage dans les années 1960 aux côtés du pasteur Martin Luther King dans sa lutte contre la ségrégation. Le Parti républicain, quant à lui, défend les positions de la droite chrétienne.

Aujourd’hui, on assiste néanmoins à la progression des religious nones[48], comme en atteste le discours de Barack Obama, le 20 janvier 2009 : « Nous sommes une nation de chrétiens et de musulmans, de juifs et d'hindous, et de non-croyants » -propos encore inconcevable encore dix ans auparavant. On peut y voir la forte probabilité d’une sécularisation accélérée de l’électorat américain, ce qui peut affecter et réorienter la vie politique américaine.

c.       Les présidents des États-Unis et la religion : des rapports de plus en plus étroits et complexes

La rhétorique religieuse, déjà présente chez G. Washington[49], est reprise par mimétisme par tous ses successeurs même les moins ouvertement religieux comme Jefferson. Aucun candidat à la présidence des États-Unis ne peut caresser la moindre chance de l’emporter s'il ne se montre pas apte à évoluer dans un registre politico-religieux consensuel. Ainsi :

  • John F. Kennedy (président de 1961 à 1963) fut le premier (et le seul jusqu’à présent) président catholique des États-Unis -doc.3 p.394. Un catholique en campagne présidentielle.
  • Barack Obama lui-même, après l’attaque meurtrière d’une église méthodiste fréquentée par des afro-américains, prononça lui-même un éloge lors de la cérémonie funèbre en hommage aux victimes, et chanta le célèbre Amazon Grace[50].
  • Donald Trump bénéficie d’un soutien actif des évangélistes. Depuis les années 1970, les évangélistes, qui sont des fondamentalistes protestants -Évangélisme : vocabulaire p.398, intransigeants sur les principes de la foi, s’opposant à la sécularisation des sociétés, regagnent du terrain et alimentent le débat public dans la société : condamnation de l’homosexualité, promotion du créationnisme dans l’enseignement, activisme anti-avortement, etc. -doc.5 p.395. Un activiste chrétien dans les rues de Washington.

Conclusion

Révisions p.404-405

III. État et religions en Inde (Objet de travail conclusif)

A.    État et religions : « sécularisme » et dimension politique de la religion

L’Inde est un État démocratique jeune (indépendant depuis 1947)[51] et démesuré (avec 3,3 millions de km² et 1,3 milliard d’habitants, c’est la plus « grande » démocratie du monde). C’est une république fédérale (Union indienne), où le pluralisme politique oppose de nombreux partis[52]. C’est également un État multiculturel -Vocabulaire p.413, dont le découpage administratif (29 États et 7 territoires) est organisé sur des bases culturelles et linguistiques[53] -Cartes p. 410-411.

1.     L’hindouisme, majoritaire et omniprésent

La religion majoritaire est l’hindouisme -doc.2 p.418. Une société marquée par l’hindouisme. La population hindoue dépasse un milliard d’habitants en Inde[54]. Elle est présente dans l’ensemble du pays mais particulièrement dans les États du Nord, du Bihar au Gujarat, en passant par l’Uttar Pradesh et le Madhya Pradesh. L’islam est la deuxième religion du pays -doc.1 p.418. La grande mosquée de Delhi. Les musulmans, en majorité sunnites, représentent plus de 14% de la population indienne, soit environ 172 millions de personnes, enracinées dans la culture indienne -doc.4 p.419. Ils sont principalement présents dans le nord du pays (Cachemire), dans la vallée du Gange (Uttar Pradesh) et au Kerala (Sud). Leur nombre augmente en raison d’une fécondité plus importante que celles des autres communautés religieuses. Les autres religions (christianisme, sikhisme -Vocabulaire p.415, bouddhisme -Vocabulaire p.414, zoroastrisme -Vocabulaire p.415, jainisme -Vocabulaire p.415 animisme tribal -Vocabulaire p.414 etc.) constituent des communautés ultra-minoritaires -Les principales religions de l’Inde, p.414 + doc.5 p.419. L’évolution des communautés religieuses bien que parfois très concentrées localement.

Loin de s’éroder, la pratique religieuse de l’hindouisme tend même à gagner en ferveur[55]. L’hindouisme est omniprésent dans la société, à tel point que c’est de lui que découle la structure sociale du pays. En effet, elle classe les individus, dès leur naissance, dans des castes -Vocabulaire p.412 qui segmentent l’ensemble de la société. Ces groupes sont innombrables et regroupés selon leur degré de pureté en quatre grandes catégories, les varnas -Vocabulaire p.413. Les populations dites « intouchables », aujourd’hui nommées dalits (les « exploités »), sont hors castes -La hiérarchie des varnas p.412. Cette organisation sociale est liée à l’hindouisme, mais elle concerne aussi les populations non hindoues (musulmans, sikhs, chrétiens), et excepté les populations tribales, les adivasis, qui se situent dans les marges de la société -Points de vue p.422-423. Les basses castes, les dalits et les tribaux : des communautés en ascension ?

2.     Le sécularisme indien, un modèle de laïcité

Néanmoins, l’Inde est un État séculier. Le sécularisme indien-Vocabulaire p.413 + doc.1 p.416. Aux origines du sécularisme indien, inscrit dans la Constitution depuis 1976, dessine un modèle spécifique de laïcité. L’Inde n’a pas de religion d’État -Vocabulaire p.413, et les principes du sécularisme organisent l’ensemble des institutions., non seulement la liberté religieuse est garantie, mais elle est enseignée dans les programmes scolaires et la loi sanctionne toute discrimination fondée sur l’appartenance religieuse.

Conçu pour permettre une cohabitation pacifique entre religions, ce modèle spécifique de laïcité ne sépare ni État et religions, ni société civile et société religieuse : l’État reconnaît les spécificités des religions, par exemple en accordant aux minorités religieuses des dérogations au droit commun pour le mariage, le divorce ou l’héritage.

3.     Un modèle en danger : la politisation du religieux

Le sécularisme indien est remis en cause depuis les années 1990, notamment par les fondamentalistes hindous -Vocabulaire p.412 + doc.3 p.417. L’Inde et la question hindoue, qui défendent une vision politique de l’hindouisme et cherchent à imposer à tous le principe de l’hindutva (hindouité -Vocabulaire p.412 + doc.5 p.417. L’Inde et la question hindoue).

Les partis politiques défendant le sécularisme sont aujourd’hui affaiblis, à commencer par le plus important d’entre eux, le Congrès national indien[56], qui a cédé le pouvoir au Parti du Peuple indien (BJP) de l’actuel premier ministre, Narendra Modi. Le BJP, fondé en 1980, est l'expression politique d'une vision de la nation indienne à travers le seul prisme de l’hindouité, qui affirme que nation indienne et religion hindoue se confondent : la nation indienne est ainsi constituée de tous les hindous, mais aussi de tous les Indiens qui prêteraient allégeance aux symboles hindous. À l'origine centré sur un électorat de hautes castes, le parti réclamait l'instauration d'un code civil unique (chaque religion étant pour l'heure associée à des droits et des devoirs spécifiques, en particulier pour les affaires familiales), l'abolition du statut autonome de l'État du Jammu-et-Cachemire[57] et la construction d'un temple dédié au dieu Râm à la place de la mosquée d'Ayodhya détruite en 1992 par des intégristes hindous[58].

La montée en puissance du BJP peut être liée à plusieurs facteurs :

  • d'abord le parti a élargi son électorat aux basses castes ;
  • ensuite, le discours nationaliste joue certes sur les tensions communautaires, mais aussi sur les crispations liées à l'ouverture internationale de l'Inde ;
  • par ailleurs, il propose une approche du développement fondée sur une relance et une modernisation de l'économie, ainsi qu'un positionnement international de l'Inde comme puissance régionale forte ;
  • enfin, la lassitude des scandales de corruption a aussi contribué à la victoire du BJP.

Des voix s'élèvent pour dénoncer une « safranisation » de la société indienne[59] -doc.3 p.419 + contexte. Les tensions entre fondamentalistes hindous et minorités. Les exactions contre les minorités se sont multipliées et le programme Ghar Wapsi (« Retour à la maison »), lancé par le RSS et le Vishya Hindu Parishad (VHP, Assemblée hindoue universelle), se poursuit : des chrétiens, des musulmans et des Adivasi sont ainsi l'objet de conversions de masse à l'hindouisme, visant à les ramener dans le giron de la mère-patrie (Bharat Mata, figure divine de la Mère Inde). C'est là l'aspect le plus ambigu du positionnement idéologique du Premier ministre : si Narendra Modi a plusieurs fois réaffirmé l'importance de la laïcité pour l'unité nationale et son attachement au multiculturalisme de l'Inde, dans les faits il reste silencieux face à la montée des violences et des discriminations, que ses récentes décisions semblent même encourager[60]. Parallèlement, un fondamentalisme musulman se développe dans un contexte de fortes tensions géopolitiques régionales (nationalisme pakistanais, talibans en Afghanistan…) -doc.4 p.417. Le sécularisme vu par un dessinateur de presse.

Malgré les tensions, la démocratie indienne a déjà fait la preuve de sa solidité[61]. La « plus grande démocratie au monde » permet encore l’alternance politique, une représentation équitable entre les communautés et la protection des minorités religieuses. Mais la remise en cause des fondements laïcs de la nation indienne par Narendra Modi et le BJP est suffisamment profonde pour que l’on s’interroge sur l’avenir de la démocratie dans le pays.

Conclusion

Exercice : jalon p.416-417 du manuel

B.    Des enjeux géopolitiques : l’Inde et le Pakistan

Le Cachemire cristallise les antagonismes entre New Delhi et Islamabad, et constitue l’épicentre des tensions. Cette zone, l’une des plus militarisées au monde, est le théâtre principal du conflit entre les deux pays qui revendiquent leur souveraineté sur le territoire depuis 1947. Dans l’État indien du Jammu-et-Cachemire, les violences opposant les militaires et les insurgés cachemiris ont fait, depuis le début du conflit, au moins 70 000 morts et 8 000 disparus.

1.     Entre Inde et Pakistan : indépendances et guerres (1947-1971)

En 1947, le Royaume-Uni accorde l'indépendance à son immense empire des Indes. Mais, dans cet espace aux religions diverses, la présence de deux communautés hostiles complique les négociations. Deux États voient le jour : l’Union indienne à majorité hindoue et le Pakistan, à majorité musulmane.

Quelques mois après l'indépendance, l'Inde et le Pakistan s'affrontent au sujet du Cachemire. Majoritairement peuplé de musulmans, mais traditionnellement gouverné par des hindous, le Cachemire est rattaché à l'Inde. Un premier conflit (mars 1948) oppose les deux pays et se solde par la délimitation d'une ligne de contrôle toujours en vigueur aujourd'hui. Des millions de réfugiés fuient les combats. L'ONU intervient et trace une ligne de cessez-le-feu début 1949. Cependant, l’annexion par la Chine de l’Aksai Chin (1962) vient encore envenimer la situation.

Les tensions persistent et une nouvelle guerre éclate au Cachemire en 1965, sans modifications territoriales notables. En 1971, une guerre civile éclate, opposant les deux Pakistan, occidental et oriental. L'Inde en profite pour intervenir, facilitant la naissance du Bangladesh. Cela lui permet d'éliminer toute menace pakistanaise à ses frontières orientales, en affaiblissant son ennemi, privé d'une grande partie de son territoire.

2.     Le conflit change de visage à partir des années 1980

Durant cette période, l'armée pakistanaise favorise l'instabilité dans le Cachemire indien en infiltrant des djihadistes démobilisées après la fin de la guerre d'Afghanistan (1988). L’émergence d'un mouvement indépendantiste cachemiri, soutenu par le Pakistan, débouche sur une insurrection. En réaction à ces infiltrations, la frontière est clôturée et la ligne de contrôle (LoC) est minée. La période, qualifiée de « sale guerre », provoque la mort de 50000 personnes, essentiellement civiles.

Les années 2000 sont celles de l'émergence d'autres tensions. Les attentats islamistes déstabilisent le Cachemire et l'Inde (2001, 2004, 2008). À chaque attentat, la situation militaire se tend le long de la

frontière, freinant l'avancée des négociations de paix, parfois relancées par la « diplomatie du cricket » ou une paradoxale « diplomatie de la religion ».

3.     Un conflit qui n’en finit pas

Le 26 février 2019, pour la première fois depuis 1971, l’armée de l’air indienne a bombardé le Pakistan. Le lendemain, Islamabad répondait en abattant un avion indien qui survolait son espace aérien. L’escalade a fait ressurgir le risque d’un conflit ouvert entre Inde et Pakistan et, avec lui, la crainte d’une déstabilisation complète de la région. La destruction par l’armée indienne d’un camp terroriste d’un groupe islamiste pakistanais, intervient 12 jours après une attaque-suicide au Cachemire, faisant une quarantaine de victimes.

À la veille d’élections cruciales dans lesquelles le Premier ministre, Narendra Modi (depuis 2014) jouait sa place, le gouvernement indien a choisi la riposte militaire, là où la voie diplomatique avait jusque-là été privilégiée[62]. Politiquement affaibli par les difficultés économiques, Narendra Modi, figure du populisme nationaliste hindou, a donc choisi l’arme militaire pour asseoir son autorité et gagner l’adhésion du peuple après l’attentat du 14 février 2019.

L’Inde détient la deuxième plus grande force humaine au monde derrière la Chine[63]. En 2018, le pays avait le cinquième plus gros budget militaire du monde[64]. Le Pakistan est loin de disposer de la même force, mais :

  • il dispose du soutien de la Chine ;
  • il est tout comme l’Inde une puissance nucléaire depuis 1998.

Autant de raisons de considérer ce conflit comme un des « points chauds » majeurs des relations internationales…

Conclusion

Exercice : travail sur une vidéo du Dessous des Cartes (mars 2020) : « Cachemire : un conflit sans fin »[65].

Conclusion

Révisions p.424-425


[1] Ce n’est que bien plus tardivement qu’une une tradition médiévale nettement postérieure l’appellera Carolus magnus (« Charles le Grand », Charlemagne).

[2] Les annales royales des Francs, écrites au palais carolingien, mais aussi les annales de Lorsch, rédigées par Ricbod, abbé de l'abbaye rhénane de Lorsch et évêque métropolitain de Trèves, ou le Liber pontificalis, chronique officieuse des papes. Elle est aussi rapportée dans la chronique du Byzantin Théophane, ou, un peu plus tard, dans la Vie de Charlemagne écrite vers 830 par l'ancien palatin Eginhard. Toutes les autres sources découlent de celles-ci, ou en sont des interprétations tardives.

[3] D’après certains récits, Charlemagne reçoit la couronne par surprise, alors qu’il est en train de prier. Selon Éginhard, dans la Vie de Charlemagne, l'empereur serait sorti furieux de la cérémonie.

[4] Vraisemblablement, faute de précédent, un diadème prélevé sur le trésor de Saint-Pierre

[5] …qui au IVe siècle se convertit au christianisme et transporta sa capitale à Constantinople.

[6] À cette date, le petit Romulus Augustule a été déposé dans son palais de Ravenne par le chef barbare Odoacre, qui a renvoyé les insignes impériaux à Constantinople, devenue la capitale de l'Empire romain d'Orient

[7] Ricbod écrit dans sa chronique : « chez les Grecs, le titre impérial était vacant, et c'est une femme qui y exerçait l'empire »

[8] Après une brève période d’expansion sous le règne de Justinien (VIe siècle), l’Empire byzantin se rétracte sur les Balkans et l’Anatolie.

[9] Tout le monde en convient, les Vénitiens parlent de Romanie, Arabes et Turcs ne connaissent que les Rûms.

[10] Sur les 88 empereurs qui se succèdent de 324 à 1453, 31 sont des usurpateurs qui n’étaient pas les fils de leur prédécesseur ou n’avaient pas été désignés pour lui succéder.

[11] Pantocrator : qui gouverne tout

[12] En 1071, l’empereur Romain Diogène qui a subi une grave défaite à Mantzikert face aux Turcs, doit renoncer à toute prétention au trône et se retirer dans un monastère après avoir été aveuglé.

[13] Théophane le Confesseur prête ces paroles à l’Impératrice Irène que Nicéphore Ier vient voir dans sa prison après l’avoir détrônée en 802 : « Je crois que c’est Dieu qui […] m’a fait monter sur le trône tout indigne que j’en étais ; je n’impute ma chute qu’à moi seule et à mes péchés […]. Quant à ta promotion, c’est Dieu que j’en considère comme l’instigateur, car je crois que rien ne peut se faire sans sa volonté. […] Dieu par qui règnent les empereurs et par qui s’établissent les dominations sur la Terre. Et maintenant je vois en toi le pieux élu de Dieu, et je me prosterne devant toi comme devant l’empereur ».

[14] Ainsi, lorsqu’en 730 le patriarche Germain refuse d’approuver la décision impériale d’imposer l’iconoclasme, au motif qu’une telle mesure ne peut être prise que par un concile, il est écarté et remplacé par un clerc plus conciliant.

[15] Les souverains musulmans échappent à cette hiérarchie mais comme ils ne sont pas chrétiens, ils ne peuvent être appelés au Royaume de Dieu.

[16] L’empereur se réserve l’usage de la couleur pourpre, par exemple.

[17] Porphyrogénète : « né dans la pourpre ».

[18] Logothète : « donneur d’ordre ».

[19] C’est la dignité qui est le marqueur social. À partir de la dignité de prôtospathaire (« premier porte-épée »), on fait partie du sénat. Celui-ci ne se réunit jamais, mais ouvre droit à certains privilèges ; par exemple, un tribunal ira quérir son témoignage au domicile du sénateur au lieu que celui-ci ne se déplace.

[20] À la faveur de leur expansion, les Arabes ont imposé leur domination à des populations de langues et de religions variées. Les populations pratiquant des cultes polythéistes sont contraintes de se convertir à l’islam. Les monothéistes (zoroastriens -Vocabulaire p.372, juifs et chrétiens) sont pour leur part soumis à la dhimma -Vocabulaire p.372. Ils peuvent continuer à pratiquer librement leur culte mais doivent payer des impôts spécifiques et ont l’interdiction de porter des armes ou de monter à cheval. Ils n’ont pas le droit de construire de nouveaux lieux de culte ni de faire de prosélytisme -Vocabulaire p.373.

[21] Trois pouvoirs, à Bagdad, au Caire et à Cordoue, prétendent ainsi exercer simultanément le califat.

[22] NB : les enfants du calife et de concubines esclaves peuvent aussi régner. La plupart des califes naquirent d'esclaves concubines qui étaient le plus souvent affranchies dès lors qu'elles donnaient un fils à leur maître

[23] Aphorisme attribué à Ardashîr Ier, fondateur de la dynastie persane des Sassanides (IIIe siècle)

[24] Dans la sphère chiite, en revanche, le calife fatimide conserva des pouvoirs religieux beaucoup plus étendus. Choisis et éclairés par Dieu, les califes et les imams étaient considérés comme détenteurs d'un savoir surnaturel hérité d’Alî, gendre du Prophète, qui les rendaient seuls aptes à guider les musulmans. Leur autorité reposait avant tout sur un savoir particulier par lequel Dieu les avait distingués des autres humains. L'imamat était donc infaillible, omnipotent, miraculeux et héréditaire. Quelques mouvements chiites extrémistes allèrent même jusqu'à diviniser le calife, mais ils restèrent toujours très minoritaires.

[25] L'évolution fut différente dans le monde chiite : les califes fatimides (de 909 à 1171} et les imams, désignés dans la descendance de 'Alî, restèrent des chefs charismatiques, guidés par Dieu et donc infaillibles, ayant le pouvoir de définir et d'interpréter la loi religieuse.

[26] En Europe, on voit un processus d’autonomisation progressive entre les Églises et les États. Ce processus débute avec la Réforme protestante au cours du XVIe siècle. Les Lumières jouent un rôle dans ce processus, puis la Révolution Française.

[27] Laïcité : de laos en grec, peuple qui s’oppose à klerikos, clerc. Au sens large : « perte d’emprise de la religion sur l’État et sur la société ». Dans un sens plus étroit : « refus d’assujettissement du politique au religieux et réciproquement ».

[28] La laïcité est une valeur de la République française mais ce n’est pas une exception française.

[29] Cf. N. Danforth, « Le traité qui explique le Moyen-Orient d’aujourd’hui a été signé en France », août 1915, www.slate.fr

[30] Même les partis islamistes qui ont occupé le pouvoir à Ankara, depuis le Parti de la prospérité de Necmettin Erbakan en 1996 jusqu'à l'actuel Parti de la justice et du développement (AKP) de Tayyip Erdogan, n'ont pas osé s'en prendre ouvertement à l'œuvre du grand homme - tout en ne se privant pas d'en saper les bases au besoin. Partout, Mustafa Kemal, en statue sur les places publiques, en effigie sur les bâtiments officiels ou en image dans les boutiques, semble veiller sur les destinées du pays.

[31] Recep Tayyip Erdoğan, né le 26 février 1954 à Beyoğlu, est un homme d'État turc. Il est cofondateur du Parti de la justice et du développement, Premier ministre de 2003 à 2014 et président de la République de Turquie depuis 2014 (Source Wikipédia).

[32] Cf. « Ce que l’on sait de la tentative de coup d’État en Turquie », Le Monde, 16 juillet 2016.

[33] Cf. Prezi : https://prezi.com/view/QDx64LgUXkzB6vxJArc6/

[34] Attention néanmoins : le mot laïcité n’existe pas en anglais, on utilise plutôt les termes de « séculier » (secular) et « sécularisme » (secularism), « sécularisation » (secularization).

[35] Auteur de l’Act of toleration de Virginie où il montre que la liberté religieuse est un véritable droit naturel et inaliénable (et non une concession de l’autorité publique).

[36] Le déisme est une doctrine qui admet l'existence d'un Dieu et son action sur l'univers mais sans se rattacher à une religion révélée et à des textes sacrés.

[37] Cf. notion de « destinée manifeste » (Thème 2, III.)

[38] Ce sont deux cimetières nationaux : Arlington (lieu emblématique de l'histoire du pays, dans la banlieue de Washington D.C., où reposent des soldats tombés au cours de toutes les guerres menées par les EU) ; Gettysburg (site d’une des batailles les plus symboliques de la guerre de Sécession, où le président Lincoln a prononcé une oraison funèbre dans laquelle il rappelle ce qu’est la démocratie : « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple »).

[39] Monument construit en l'honneur d'Abraham Lincoln, 16e président des États-Unis, et, inauguré en 1922 à Washington. Grand bâtiment de marbre blanc en forme de temple dorique grec, il abrite une statue monumentale d'Abraham Lincoln assis et les inscriptions de deux de ses plus célèbres discours.

[40] Le mont Rushmore abrite un mémorial national américain sur le territoire de la ville de Keystone, dans l'État du Dakota du Sud. Les sculptures, hautes de dix-huit mètres, représentent quatre des présidents les plus marquants de l'histoire américaine des années 1770 aux années 1900. Il s'agit de gauche à droite de George Washington (1732-1799), Thomas Jefferson (1743-1826), Theodore Roosevelt (1858-1919) et Abraham Lincoln (1809-1865).

[41] Tous les matins les écoliers américains récitent le serment suivant : « Je fais serment d’allégeance au drapeau des Etats-Unis d’Amérique et à la République qu’il représente, une nation devant Dieu, avec liberté et justice pour tous ».

[42] Jour du souvenir pour les Américains morts au combat (au départ lors de la guerre de Sécession mais qui concerne aujourd'hui tous les soldats morts dans les différents conflits). Le Président se rend au cimetière national d'Arlington, près de Washington, le dernier lundi de mai

[43] Fête protestante commémorant la fête de la fondation de 1621 où les Pilgrims Fathers auraient partagé un repas avec les indiens Wampanoag.

[44] Ce jour-là, il s’agit de communier pour la grandeur et la protection de la nation.

[45] Le serment de défense de la Constitution que prêtent les présidents en jurant sur la Bible est une tradition empruntée au parlementarisme anglais. La Bible est fermée pour éviter le caractère théologique. En 1996 le premier député musulman a prêté serment sur un Coran (ayant appartenu à Jefferson), Johnson prêta serment dans l’avion Air Force One sur un missel catholique. Ce n’est pas une religion qui est mise en avant mais l’idée d’un caractère sacré.

[46] Dénominations : tout groupe ou sous-groupe structuré qui, à l’intérieur d’une grande religion ou d’une confession, s’inscrit dans une tradition donnée (en général en lien avec une personnalité fondatrice), se reconnait une identité commune en vertu d’une doctrine spirituelle déterminée et s’organise en un réseau d’Églises ou de congrégations rangées sous une même appellation.

[47] Plus de 5 millions de 1840 à 1865, 30 millions entre 1870 et 1920, 20 millions depuis années 1960.

[48] Religious nones : appellation synthétique regroupant les non affiliés, des sans religion précise, agnostiques et athées sont en forte proportion dans les nouvelles générations, 35 % des électeurs nés entre 1981 et 1996.

[49] Président des États-Unis de 1789 à 1797.

[50] Chant religieux écrit par John Newton (1725-1807), esclavagiste repenti devenu prêtre. Ce classique est devenu dans les années 1960 un hymne des défenseurs des droits civiques

[51] La partition -Vocabulaire p.413 de l’empire des Indes britanniques a donné le 15 août 1947 naissance à l’Union indienne en même temps qu’au Pakistan occidental (désormais Pakistan) et au Pakistan oriental (Bangladesh depuis 1971)

[52] L’alternance du pouvoir est fréquente depuis une vingtaine d’années entre le Parti du Congrès et le Parti du Peuple indien (BJP).

[53] La langue officielle de l’Inde est l’hindi, principalement parlée dans le nord du pays ; elle est accompagnée de 21 langues inscrites officiellement dans la Constitution, tandis que l’administration utilise l’anglais.

[54] 80% de la population totale lors du recensement de 2011.

[55] L’importance des grands événements religieux s’accroît. Les pèlerinages se multiplient et attirent des foules de dévots qui contribuent à l’enrichissement (dons en argent) de très nombreux temples et lieux saints. Les grandes célébrations de l’hindouisme réunissent régulièrement des millions de personnes, la plus célèbre étant la Maha Khumba Mela qui rassemble dans des villes saintes différentes (Allahabad, Haridwar…), jusqu’à cent millions d’adeptes.

[56] Le Congrès a été fondé en 1885, pendant le Raj britannique. Il devient, à partir du début du XXe siècle, l'acteur majeur du mouvement pour l'indépendance de l'Inde, rassemblant plus de 15 millions de membres dans son opposition à la colonisation. À partir de 1915, le Mahatma Gandhi -Biographie p.416 en devient une des figures principales, aux côtés de Jawaharlal Nehru. Après l’Indépendance en 1947, le Congrès domine la vie politique indienne jusqu'à la fin des années 1970 sous la conduite des Premiers ministres Jawaharlal Nehru, Lal Bahadur Shastri et Indira Gandhi qui adoptent une politique d'inspiration socialiste. Il est depuis confronté à l'opposition d'abord du Janata Party puis du BJP. Dans les années 1990, le Congrès préside à la libéralisation de l'économie indienne. Il est au pouvoir de 2004 à 2014 sous la direction du Premier ministre Manmohan Singh au sein de l'Alliance progressiste unie. Il connait en 2014 sa pire défaite depuis l'Indépendance, face au BJP de Narandra Modi.

[57] Frontalier avec le Pakistan, cet État est majoritairement musulman et sa législation est adaptée en conséquence. En août 2019, il est mis un terme à son autonomie. Cf. « Cachemire : aux origines des tensions entre l’Inde et le Pakistan », Le Monde, 12 août 2019.

[58] Le BJP reste d'ailleurs encore très proche de son bras armé, le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, Association des volontaires nationaux), dont est issu le Premier ministre, Narendra Modi.

[59] NB. Le safran, présent sur le drapeau national, est aussi la couleur des nationalistes hindous.

[60] Cette loi modifie le principe du sécularisme ou de laïcité inscrit dans la Constitution et va contribuer à faire des musulmans des citoyens de seconde zone. La chambre haute, la Rajya Sabha, qui avait rejeté le texte en 2016, l’a approuvé, mercredi 11 décembre, comme la chambre basse, la Lok Sabha, deux jours plus tôt. Le texte régularise les réfugiés hindous, sikhs, chrétiens, jains, bouddhistes, parsis, arrivés avant 2014, qui ont fui l’Afghanistan, le Pakistan ou le Bangladesh, s’ils résident en Inde depuis au moins cinq ans. Seuls les résidents musulmans sont exclus du dispositif. Ils resteront des sans-papiers, c’est-à-dire sans droits. Le gouvernement n’a donné aucune indication précise sur leur devenir. Source : Le Monde, 11 décembre 2019.

[61] Par exemple, elle résiste aux violences terroristes récurrentes. Les plus graves furent l’assaut du Parlement par des terroristes en décembre 2001 et surtout l’opération meurtrière conduite à Mumbai en novembre 2008 par un commando de dix fondamentalistes islamiques, venus du Pakistan, qui a fait 166 morts et plus de 300 blessés.

[62] En 2001, lorsque ce même groupe avait mené une attaque contre le Parlement de New Delhi, l’Inde avait envoyé ses troupes à la frontière avec le Pakistan, sans jamais franchir la ligne de contrôle séparant les deux pays et sans y envoyer ses avions de combat. De même, en 2008, après la mort de 166 personnes à la suite d’un raid de 60 heures à travers Mumbai mené par un groupe islamiste pakistanais, l’Inde avait à nouveau renoncé à riposter militairement.

[63] 1,39 million de militaires en service et 1,6 million de paramilitaires en 2017 (2 millions de militaires en service pour la Chine)

[64] Derrière : 1/ États-Unis ; 2/ Chine (168,2 milliards) ; 3/ Arabie saoudite ; 4/ Russie.

[65] Cliquez ici pour consulter la vidéo

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